Finies les interceptions routières sans motif, tranche la Cour supérieure
Vous est-il déjà arrivé de devoir vous arrêter après une interpellation par un policier et ce, sans raison valable? C’est une situation qui arrive de manière disproportionnée aux membres des communautés noires du Québec, selon un jugement rendu par la Cour supérieure… et cet état de fait doit cesser.
Mars 2019. Joseph-Christopher Luamba, aujourd’hui 22 ans, se dirige vers le cégep de Montmorency au volant d’une voiture lorsqu’il croise un véhicule du Service de police de la ville de Montréal (SPVM). Alors qu’il tourne le coin, le véhicule policier fait un u-turn et allume ses gyrophares. Une fois à l’arrêt, le policier demande au jeune homme de s’identifier, effectue des vérifications et le laisse partir.
S’il peut arriver à tout le monde d’être intercepté de la sorte par un corps policier, c’est une situation qui se produit de manière disproportionnée chez les hommes noirs.
C’est là un argument porté devant les Tribunaux par M. Luamba, qui soutient que la possibilité pour les policiers d’interpeller un conducteur en l’absence de tout soupçon ouvre la porte profilage racial et, de fait, rend cette pratique inconstitutionnelle.
C’est également ce que conclut le juge Michel Yergeau, de la Cour supérieure du Québec, dans un jugement rendu public le 25 octobre 2022.
Fin des interpellations de conducteurs sans motif réel
Dans le document de 170 pages, le juge Yergeau souligne que «le pouvoir arbitraire reconnu aux policiers de procéder à des interceptions routières sans motif est devenu pour certains d’entre eux un vecteur, voire un sauf-conduit de profilage racial à l’encontre de la communauté noire».
Cela rend donc cette pratique inconstitutionnelle, puisqu’elle va à l’encontre des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés.
Sur la base de nombreux témoignages, autant de membres de la communauté noire que d’experts, la Cour supérieure du Québec invalide donc la règle de common law, en vigueur depuis plus de trente ans, qui donne aux policiers et policières le droit d’interpeller une personne au volant d’un véhicule sans motif pour le justifier.
Elle laisse un délai six mois après la notification de l’avis de jugement pour la mise en oeuvre de la décision.
Conduire en étant Noir
«En règle générale, le seul fait qu’une personne se trouve au volant ne suffit pas à amener la police à l’intercepter sans un motif ou un soupçon quelconque et à exiger qu’elle s’identifie», peut-on lire dans le jugement.
«Pourtant, la preuve nous apprend qu’il en va autrement auprès de certaines personnes, en particulier les hommes de race noire», poursuit le juge, ajoutant que l’expression «driving while black» (conduire en étant Noir), une expression bien connue en anglais, consacre cette réalité.
C’est également ce qu’a constaté le plaignant, Joseph-Christopher Luamba, qui a été interpellé dix fois en l’espace de dix-huit mois, sans jamais que ces interpellations n’aboutissent à une contravention. C’est également un enjeu sur lequel travaille depuis ses débuts l’Association canadienne des libertés civiles, qui s’est jointe à M. Luamba et a soutenu ses revendications durant le procès.
Bien sûr, ce jugement ne va pas, à lui seul, régler le problème du profilage racial dans nos sociétés, soutient le juge Yergeau; il s’agit de «l’escorter vers la sortie une marche à la fois, le présent dossier étant l’une d’elle».